« Une nuit dans l’enfer blanc »

Inauguration d’une nouvelle série d’invitations, pour laisser la place à des coureurs qui ne bloguent pas (pas encore !) mais qui auraient envie de partager quelques mots sur leurs aventures. J’y ai pensé maintes fois en courant avec mes collègues ou avec ma soeur: j’écris sur nos foulées, je leur prends un petit morceau de vie avec mon regard, mais n’auraient-ils pas eux-aussi envie d’écrire leur histoire à la première personne ?

Aujourd’hui, c’est Sébastien, dit « Marko », de Limoges (rencontré via Facebook!), qui prend la parole. Il me fait l’immense honneur de confier ici son récit de la Saintélyon, sa « première Saintélyon », sur la version longue (68 kilomètres).

Lundi matin, après 13 heures de sommeil d’affilée, je me réveille, relis vos commentaires chaleureux et sympathiques sur Facebook. Et sur la demande de Clara et de Christelle, je vais essayer de vous faire le récit de ma «Sainté».

Pour re-situer cette course dans mon contexte sportif, je dois d’abord me présenter, du moins présenter mon niveau de coureur. J’ai 39 ans, je cours depuis 4 ans grâce à des amis qui m’ont initié et amené au Spiridon Limousin. Je ne suis pas un compétiteur dans l’âme, j’ai juste envie de me dépasser et d’aller de plus en plus loin. J’ai couru des 10, des semi, des trails plus ou moins longs et un marathon (mon premier en octobre au Cap Ferret, en 3h48). J’ai eu des douleurs aux genoux, des tendinites au cours de ma courte «carrière». Je n’aime pas courir seul, alors je m’entraine tous les mercredis avec le club environ une heure trente à des rythmes assez élevés (entre 12 et 15km/h).
Les dimanche je fais certaines compétitions dans la région ou des sorties entres amis du Spiridon dans la belle campagne limousine.
Pour ma préparation marathon, j’étais sur quatre sorties par semaine, deux fois une heure  au bord de la Vienne à côté de chez moi, l’entrainement du mercredi et la sortie du dimanche.
Pour la Saintélyon, je n’ai pas fait de grosses sorties (je vais le payer !) en pariant sur ma prépa marathon et sur mes acquis. Donc, pour en venir à cette course mythique, je me suis tout d’abord dit que je la ferais si le marathon du Cap Ferret se passait bien. Etant satisfait de mon résultat, je me suis inscrit à la Sainté’ fin octobre sachant qu’un groupe du Spiridon s’était constitué.

La jour J arrive, fatidique. Il a neigé toute la semaine sur une bonne partie de la France.
Nous nous attendons à des conditions difficiles, voire à une annulation de la course. Je prévois des vêtements chauds et respirants. Je casse la tirelire et j’achète une veste Gore tex et des guêtres pour braver la neige et le froid.
Départ samedi à 16h00 de Limoges. Nous sommes huit coureurs et trois accompagnatrices.
L’ambiance est bonne, nous parlons de la course le long du trajet. Le thermomètre dans la voiture indique des températures inférieures à moins 5° avec un pic à moins 9 °… Le Sancy est magnifique, blanc, isolé, grand. La pause pipi nous ramène à la réalité… Ça caille dur !

Arrivée à St Etienne, diner dans une cafet’ Leclerc, pas le temps de trouver mieux. Spaghetti Carbonara pour tout le monde. Bien dégueu, bien grasses (j’en parlerai plus tard !) Une photo souvenir et direction le parc des expo de Saint-Etienne.
Une heure de queue pour retirer son dossard et changement express au milieu de la foule. Un vrai festival de tenues et de marques de trail (Salomon en tête, North Face, Asics….) Des Stands publicitaires et surtout le Stand AREVA sponsor officiel de la Sainté ! (sic) Je ne ressens pas le stress, je me sens près à une heure du départ.

J’ai opté pour le millefeuille, quatre couches en haut et deux en bas. J’ai une veste en Gore Tex Haglofs que j’étrenne. Pour la tête c’est mon porte bonheur Buff Kukuxumusu «El Che» !

La foule de traileurs est impressionnante. Il y a, comme toujours, une majorité d’homme séniors et V1. Les femmes se font rares.
C’est sous les hourras et dans le chaos que départ est donné à minuit pile.

Les Spiridonniens restons groupés autour de Jean Yves notre coach avec la consigne de partir cool. Un affichage digital annonce moins sept degrés !

C’est parti, je me sens bien sur les premiers kilomètres, le GPS donne 9,5km/h. Mais au fur et à mesure, je sens mes intestins se réveiller. C’est assez pénible mais je ne ralentis pas car je sais qu’il faut sortir de la ville pour atteindre les premières difficultés au bout de 8 km. Le sentier qui monte est enneigé, mais ça roule quand même. Il y a foule, on ne peut pas doubler alors on suit. Les frontales éclairent comme en plein jour. C’est beau ce départ, mais mon ventre me fait de plus en plus souffrir. Je sais que je vais devoir m’arrêter. C’est ce que je fais en m’éloignant du chemin. Je passe les détails mais c’est  vraiment particulier, les pieds dans 30 cm de poudreuse par moins 10° !!! Je repars, mes compagnons sont devant, je vais devoir courir seul. A peine un quart d’heure plus tard, j’ai à nouveau besoin de m’arrêter. Rebelote. J’ai fait à peine dix kilomètres que je suis déjà mal à cause des  spaghetti dégeu que je n’ai pas digéré (… bien s’alimenter avant et pas de sauce ! ) Ça doit être le froid ou je ne sais quoi mais ça va être long, très long si mon ventre ne me laisse pas tranquille. Au bout de deux heures dix j’arrive au premier ravito du 15 ème km. Je ne peux rien avaler alors je me contente d’un verre de thé. J’ai envie de vomir.

Je serre les dents! Je continue à mon rythme. Les difficultés et les montées s’enchainent sur les trente premiers kilomètres. Nous traversons les monts du Lyonnais. Le sol est gelé. Il est souvent impossible de courir tellement ça glisse. Il faut dire que dans les descentes, avec le monde devant soi, on reste bloqué. On marche voire on s’accroche aux branches des arbres dans les bois pour ne pas se casser la gueule. Devant moi, c’est une succession de chute plus ou moins grave. Certains devront abandonner sur blessures. C’est le défilé des secours. Dans les montées, on s’économise, on marche encore. Je vais mieux à partir du vingtième km alors j’accélère et je remonte pas mal de monde.

Les ravitos sont espacés d’environ 7 km, c’est l’objectif à atteindre pour moi. Je n’ai plus mal au ventre mais je ne suis pas au mieux de ma forme. Je cours seul et je sais déjà que je vais mettre plus de temps que prévu (j’avais imaginé la faire entre huit et dix heures dans des conditions normales). A chaque ravitos je fais le décompte de ce qu’il reste à faire.

Les lumières oranges de l’agglomération lyonnaise éclairent le ciel. C’est beau. Je me retourne parfois pour admirer le défilé des lucioles. Ça fait du bien de voir ça, et de savoir qu’ils sont des centaines derrière ! Je n’ai pas mal aux jambes mais par contre (c’est mon talon d’Achille) une douleur se fait de plus en plus présente à l’épaule gauche. C’est un point précis au niveau du trapèze. C’est pénible alors je fais de mouvements de bras et de tête pour essayer de décontracter les muscles. Le vent se lève en redescendant sur Lyon, je mets ma capuche. Je n’ai pas eu froid sauf un peu aux mains mais en les remuant, ça passe.
Il me reste 20 km à faire et je suis cuit. Je veux terminer coûte que coûte.

Je vais mettre le temps qu’il faut, mais je n’abandonnerai pas. A chaque ravito, ils sont nombreux à craquer. Je veux être finisher. Je n’ai plus que ça en tête. Le terrain est tellement glissant que l’on doit faire attention à chaque pas. Tous les appuis sont instables et ils seront nombreux à chuter. Certains lourdement. Je glisse sans cesse. J’en ai marre de cette glace. Une véritable patinoire. Et quand ce n’est pas gelé c’est de la neige molle et collante. L’enfer blanc. Je suis sur le point de craquer.
Pour arriver à Lyon c’est du plat et de la descente, alors ça va mieux. Je me remets à trottiner mais les jambes ne suivent plus. J’ai mal aux pieds.
Les 5 derniers km sont terribles le long de la Saône.
C’est laid, il fait froid, il y a du vent. C’est interminable.
Je vais finir.
L’arrivée à Gerland est un soulagement.
On me remet le tee-shirt, je bois deux verres de coca…
C’est terminé !!! 11H36. Deux heures de plus que prévu.

Je me douche (douche cracra mais je n’avais qu’à arriver plus tôt !)
Tous les Spiridoniens ont terminé. Et notre champion Fabrice termine en 6H45 à la 97ème place.
Sur les 6800 inscrits à la Saintélyon en solo, 4000 terminent en moins de 15h.
Combien d’abandons ?
Combien ne sont pas venus à cause des conditions climatiques?
Combien de blessés ?

Pour moi, ce fut vraiment difficile. Ma préparation était trop light. J’ai pensé tenir sur ma prépa marathon mais j’étais trop juste sur la longueur. Les problèmes gastriques m’ont bien ralentis et handicapés. Et le verglas m’a empêché de courir la plupart du temps.

Les points positifs :
Je termine
J’étais bien équipé et je n’ai pas eu froid malgré les températures négatives
Je ne suis pas blessé
J’ai eu de nombreux encouragements

Les points négatifs :
J’ai souffert (ventre, jambes, épaule)
Je termine dans le dernier quart
J’ai lâché mes copains
Pas d’ambiance particulière sur, avant et après la course
Le sol glissant presque tout le long
Areva comme sponsor !

———————————–

28 réflexions au sujet de « « Une nuit dans l’enfer blanc » »

  1. Merci Clara de nous avoir fait partager le CR d’un non Blogueur,
    Passionnant du début à la fin!
    Bravo « Marko » pour ce récit, et bravo pour cette performance compte tenu des conditions climatiques exceptionnelles.
    A quand « le blog de Marko »?

    1. Oui car ce n’était pas les 68 km les plus difficiles à faire mais de courir sur le sol glissant. Fou non, car nous sommes entrainés et sutrout passionnés par les challenges et le dépassement de soi.

  2. alors d’abord, merci à Clara d’ouvrir son blog aux autres, c’est une très bonne idée !
    Merci pour ce CR Seb, je comprends mieux l’apparente déception que tu affichais sur Facebook juste après la course. Cela n’a pas été facile manifestement et je pense que tu peux être fier de ce que tu as accompli !
    Donc Bravo !

    1. Oui mais sur FB, ce sont les vidéos Iphone in situ, donc plus tout à fait dans mon état normal. Aujourd’hui ça va mieux et je ne regrette pas de l’avoir fait, juste dommage d’avoir eu des problèmes intestinaux mais content d’être finisher.

  3. Bravo pour ce récit, tu as bien souffert mais pas craqué. Félicitations pour ta persévérance, c’est impressionnant.

    ps : Clara tu héberges maintenant ? ^^

  4. Merci beaucoup pour ce magnifique témoignage ! C’est toujours un exploit de terminer , encore plus dans des conditions si difficiles donc double BRAVO !
    Mon « coach » m’a toujours dit la douleur est normale,c’est la souffrance qui est en option ….
    Un grand respect d’avoir réussit à terminer malgré la souffrance !

    1. Si la souffrance est en option, je peux dire que j’ai le modèle de luxe ! Comment ne pas souffrir par moins dix degrés, la nuit, dans la neige glissante, pendant des heures à courir ?
      Je dois mieux m’entrainer c’est sûr mais même les premiers, notamment Fabrice de Limoges, qui termine en 6h45, m’a dit ne pas avoir pris de plaisir et avoir souffert tout le temps alors….
      On recommencera quand même !

  5. Superbe CR ! Merci de nous avoir fait partager tes impressions de course.
    Les conditions n’ont pas été évidentes mais tu as su gérer et faire preuve de persévérance. Lorsque cela va pas, il faut se focaliser sur les ravitos, tu as bien fait.
    Sinon niveau alimentation, pas d’innovation surtout le jour J.
    Au moins, tu l’as terminé, et le bon coté c’est que maintenant tu as de l’expérience !
    Bon Repos a toi.
    Et merci à Clara pour cette initiative.

  6. Oui j’ai le tee shirt finisher comme un trophée. Je ne suis pas vacciné pour autant. Un peu de repos et les prochains objectifs seront pour 2011.
    Merci pour ton commentaire.

  7. c’est étrange, j’ai du mal à comprendre pourquoi ce récit épique pourtant empreint de douleur et de souffrance, arrive à donner envie de participer un jour à ce genre d’épreuve (mais j’ai ma petite idée :-))

    1. Oui Patricia, La Sierre Zinal sans doute ou la CCC dans les rêves les plus fous ! Pour ça il faut que je m’améliore si je veux te suivre !

  8. C’est impressionnant et même repoussant tellement cela a l’air difficile. A la fois a cause de la distance, du parcours, du froid, du sol gelé, de la solitude et de (pour autant que je le comprenne) la laideur du paysage… Mais en même temps quel défi et quelle satisfaction de finir, cela donne envie au final 🙂
    Bravo a toi cher homonyme!

  9. Merci à tous pour vos commentaires, je découvre même de nouveaux blogs, c’est génial !
    @SebRom: Il me semble que le paysage était moche seulement sur les 5 derniers kilomètres… Lyon est une si belle ville, pourtant, mais les abords du parc de Gerland ne sont certes pas les plus chouettes.

  10. Oui le parcours n’est moche que sur la fin, sauf si on aime le style urbain rouille, béton et bitume et pour le reste avant, c’est la nuit alors ?
    Ce qui est magnifique, c’est la farandole de frontale dans la nuit et les halos orangeais de la métropole au loin.
    Pour apprécier Lyon je pense que l’urbantrail de Lyon du 31 avril sera le meilleur moyen !
    Merci pour tout les commentaires. Je suis flatté !
    Ça doit être le côté maso qui vous plait ?!
    Big up à toi Clara pour le squatt temporaire.

  11. Wow ! Bravo pour avoir terminé l’épreuve, c’est le principal. En ce moment, je suis plus sur les pistes, mais je rêve d’échappées nature comme celle que tu décris.

    Encore bravo

  12. Bravo pour cette belle persévérance !
    Ne pas lacher quand le corp lache et se vide 😉

    J’ai l’impression que les derniers km (en gros depuis les escaliers débouchants sur le pont kitchenner) sont restés en travers de pas mal de monde.
    Mais est ce que tous les derniers kilomètres de toutes les grandes épreuves sont faciles et jolis ?
    C’est sur que je me serais bien passé de l’aller-retour à la pointe « confluence » : j’étais cuit ; je connaissais le coin (donc je me suis dit si on va au bout, faudra revenir…) et il y avait de bonnes surprises comme la petite bosse au niveau des containers, et les galets du rhone incrustés au sol pour achever mes pieds avant de remonter par un escalier sur le pont Pasteur…

    Mais est ce que ces derniers km auraient été plus facile en bords de mer… ?
    😉

  13. Un IMMENSE bravo à Marko pour sa ténacité. Pour ma part, j’ai fait la course en relais, donc plus en observateur. J’ai pris beaucoup de plaisir. Pour les points négatifs, je rejoins Marko: AREVA, comme sponsor….la blague. Encore un dégât du développement durable. J’avoue que l’omniprésence de Red Bull au départ et à l’arrivée m’a un peu surpris. On n’est pas des teufers !!!

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s