Mois : décembre 2010

Danse-moi vers la fin de la poudreuse (conte de Noël)

Cette année, le père Noël m’a offert un champ de neige. Le cadeau a déboulé au détour d’un chemin encore inconnu, alors que je ne savais pas exactement où mes pas me menaient. En ce samedi 25 décembre, première réveillée de la maisonnée (y’a pas d’enfant dans l’histoire, hein, sinon ça aurait été 7 heures du mat « les cadeaux, les cadeaux ! ») je me sentais assez en forme pour une petite sortie running dans la neige, malgré la tartiflette et la Mondeuse de la veille.

Lorsque j’étais venue chez  mon père en août dernier, j’avais repéré un petit chemin qui partait de la ville et venait serpenter à côté du Chéran, le cours d’eau en contrebas. Je me suis donc mise en route à sa recherche, à travers les rues ni grattées, ni déneigées du matin de Noël. Je savais qu’il partait du stade mais j’ai mis un moment à le trouver. J’avais oublié la ceinture cardio à Paris, j’ai donc essayé d’écouter mon souffle pour ne pas trop monter dans les tours. Objectif 45 minutes en endurance fondamentale (j’en ris sous cape… j’ai fait gaffe, mais j’ai tout fait sauf une séance sérieuse !)

Ces tours et détours du début m’ont permis de découvir que les Hauts-Savoyards ne manquaient pas d’humour: sur une plaque de nom de rue, « Chemin du Bron », un petit malin avait ajouté un « x » au marqueur blanc, transformant la petite voie tranquille en royaume des Gangsta’

Wesh wesh, c'est trop frais !

Après avoir rebroussé chemin, j’ai enfin découvert le chemin derrière le stade. Immaculé, au moins 15 ou 20 centimètres de neige sans une trace de pas.

C'est parti mon rösti !

La neige était fraiche et épaisse, j’avais du mal à soulever mes pieds, mais quel bonheur ! J’avais beau être en New Balance de route, ça accrochait bien, je ne me sentais pas instable. Le seul souci étant que je ne pouvais pas savoir ce que ce petit pervers de chemin neigeux cachait sous son blanc manteau: quelques pierres, quelques terriers ont sollicité mes chevilles, mais pas de mal. Je sens encore un peu mon tibia  droit sensible, donc je fais attention (eh oui, parce que la morale de l’histoire de la blessure était que finalement, j’en cumulais trois: inflammation du tendon tibial, élongation du mollet, et périostite… c’est la fête !)

J’ai alterné phases un peu intenses de labour de poudreuse avec des arrêts de stupéfaction et d’émerveillement devant la beauté du paysage. Tout était fabuleux: les plans larges, avec la rivière en contrebas, et les détails des flocons suspendus sur les branches des arbres en sommeil.

Fond d'écran Windows. Tiens, faut que je la propose à Ségolène pour son site Web.

Le chemin continuait derrière des habitations. Ni vue, ni connue, j’ai poussé quelques barrières pour continuer ma route. Et soudain, au débouché du chemin, un grand champ. Tout blanc, juste magique comme un cadeau inattendu. J’avais de l’excellente musique dans les oreilles (la compil’ Télérama 60 ans de musique en aléatoire, complètement délirante), c’était plus que ce que mon coeur pouvait supporter en restant calme. Je me suis mise à courir comme une lionne (dans la neige, oui, une lionne dans la neige), je m’arrêtais essoufflée, je me mettais à danser (je vous jure, dans la compil’, y’a même « Oups, I did it again » de Britney Spears…), je faisais des grands sauts, des balancés de jambe comme j’ai vu faire les sprinter en PPG, des talons-fesses, le tout en chantant à tue-tête. J’ai atteint le sommet de la montagne de la bêtise lorsque j’ai eu soif: « Tiens, je vais manger de la neige, ça me fera de l’eau. » Horreur et damnation ! La neige avait un vieux goût de clope avariée, beuuuurk ! C’est bien un truc de parisienne, ça, bouffer la neige! On ne m’y reprendra plus.

Merci père Noël !
C'est beau une NB enneigée

Cette sortie a confirmé mon amour inconditionnel de la neige, même s’il est beaucoup plus difficile de courir dans ces conditions. Je suis impatiente d’aller dans la vallée de l’Ubaye en février pour le Snow Trail avec quelques copains du Taillefer Trail Team!

A présent que tout le monde est levé dans la maison, je vais clore ce billet, pour profiter de la présence de mes proches… Autre cadeau de Noël immatériel et merveilleux: hier soir l’un de mes cousins Vosgien parti vivre à La Réunion m’a fait signe sur ce blog, il est fan de CAP, de trail et d’ultra depuis 18 mois… elle est pas belle la vie ?

Allez mes petites, on rentre à la maison. Vous avez bien bossé aujourd'hui.
Flash back: la rivière à la fin du mois d'août

PS: Pourquoi tu cours? Pour ces moments de folie.

PS2: les données Garmin ici, ne vous fiez pas à la moyenne pourrie, sur la route du retour j’ai été interrompue par un coup de fil et j’ai oublié de couper le chrono des 5 dernières minutes… plus tout le reste (les photos, l’émerveillement, la danse de la poudreuse ^^) Tiens au fait, le titre du billet est lié à une chanson de Graeme Allwright.

La rilance, on vous dit, la ri-lance !

C’est reparti pour une reprise. J’espère que celle-ci sera la bonne, au moins pour que la saison 2011 se déroule sans accroc. Cette fois je sors les grands moyens (mais non, pas l’Agence tous risques !) J’ai nommé : THE COACH.

Mon podologue a accepté de jouer ce rôle, ce qui constitue un enchaînement assez naturel puisqu’après m’avoir fabriqué des semelles formidables, il m’a régulièrement envoyé des e-mails d’encouragement, des conseils avisés… et des remontrances quand je faisais n’importe quoi. Et puis la veille ou le jour d’une course, j’avais toujours un petit texto de sa part. Nous nous sommes donc retrouvés mercredi pour discuter de mes objectifs (Ecotrail 18km en mars ; semi à l’automne) et de « comment ça marche l’assimilation des efforts et la récupération ». Je ne suis pas sûre d’avoir compris l’ensemble des détails physiologiques, j’ai un peu décroché au chapitre des myoblastes, faut pas m’en vouloir, je suis une littéraire… 😉

Deux jours après il m’envoyait un plan d’entraînement jusqu’à l’Ecotrail de Paris, essentiellement composé de séances en endurance fondamentale, mais avec des petites variantes sympas pour donner du rythme et ne pas m’ennuyer. Et du travail de côte léger à partir de la semaine 7 (Semaine 7 ?? Mais c’est dans longtemps, la semaine 7 !) Le plus difficile va effectivement consister dans l’apprentissage de la patience, pour ne pas dépasser dans un premier temps les 75% à 78% de ma fréquence cardiaque maximale. Je suis très heureuse d’être ainsi épaulée, je n’enchaînerai plus les séances sans but, maintenant j’ai THE PLAN. A tout cela s’ajoute le bonheur de partager cette passion de la course avec un « grand frère » plus avancé que moi (il va quand même se taper les 80 bornes de l’Ecotrail de Paris et la grimpe des marches de la Tour Eiffel à l’arrivée, le bougre !)

Ce n’est donc plus une reprise, mais, pour rendre hommage au talent xylolalique de notre Ministre de l’Economie, une rilance. Un mélange de rigueur dans la régularité et la mesure, et de relance de la machine.

Premier jour de reprise mercredi dernier, 30 minutes à une moyenne de 9′ au kilomètre, plus lent tu t’endors sur place, comme au yoga. En fait dès que le cardio grimpe, je marche jusqu’à ce qu’il descende en-dessous de 150 bpm. Ça ne prend parfois que quelques secondes, mais ça fait baisser la moyenne !! (Bon, OK, on va oublier la moyenne.) Surtout, je n’ai pas cette sensation de boost, de dépassement qui me fait planer. Je ronge mon frein, mais dans ces moments-là je repense aux trois semaines précédentes où je n’ai pas du tout couru. Et je me dis que c’est mieux que rien, mieux que d’être blessée.

Normalement j’aurais dû recourir 48 heures après ce jogging de reprise (l’assimilation, les cellules avec plusieurs noyaux, tout ça… ^^) Mais à cause de la nuit et des trottoirs glissants, j’ai préféré reporter à ce matin, tant pis, ce sera une semaine de reprise avec seulement 2 séances au lieu de 3 (bravo, ça commence bien !)

Toute contente d’être transformée en lutin des neiges à bandes réfléchissantes, je pars de bon pied ce matin vers le parc Pic. Bing, fermé « pour raisons de sécurité ». Bé oui, ça glisse… Je remonte vers le stade : fermé pour réparations de la piste d’athlétisme. Mais des barrières de chantier, ça se pousse ^^ et je parviens à atteindre le petit stade de foot en contrebas. Il y a déjà un joggeur qui laisse ses traces dans la neige. Je trottine, je marche. Je suis partie pour faire 30 minutes, quand tout à coup surgit l’entraîneur du VRC92 ! Vous vous souvenez peut-être que je suis inscrite à ce club… J’ai bien réfléchi, et je me suis dit que le club, ce sera quand je serai un peu plus forte. Ils sont trop forts, au VRC92. Rien que le jogging d’échauffement, je suis déjà en phase « résistance »… Bref, nous voilà partis en jogging-papotage, l’entraîneur et moi. Et quand le cardio monte, on marche. C’est marrant, je commence à connaître mon souffle. Quand ça redescend en dessous de 150 bpm, je le sens tout de suite, c’est comme si un poids se libérait de ma poitrine. La séance fera finalement 50 minutes, à 8’40/kilomètre de moyenne. Mais si je regarde mon plan, je lis pour la sortie du week-end : « Séance 3 : 45’ endurance fondamentale ». Ça va, hein, je suis sage !

PS: Pourquoi tu cours ? Parce que la neige ça fait critch-critch et crcrcrcrcrcr.

Corrida de Noël 2010 : Issy-les-Moulineaux passe au rouge

Non ce titre n’annonce pas un résultat électoral (qui a dit « dommage »?) Il ne sera pas non plus question de couleur de cape et de mise à mort, puisque le terme « corrida », de l’espagnol « correr », désigne tout aussi bien une course pédestre populaire et festoyeuse destinée à réchauffer les cœurs engourdis par l’hiver (Lucien Jeunesse, sort de ce corps!) En ce dimanche se sont donc élancées 10 228 personnes, de 3 à 88 ans (plus fort que Tintin!), sur des courses de 1,5 à 10 kilomètres. Avec ma patte dans le cirage, je n’ai pas pu y participer en tant que coureuse, mais j’ai vécu une fantastique expérience de supportrice, pour les copains et copines de la runnosphère et le VRC92. Comme d’hab, j’ai tout donné, et à présent je n’ai plus de voix 😉

Je suis arrivée un peu trop tard sur la course de 6 kilomètres pour voir passer Nadget et sa guide Virginie (ça ne vous rappelle pas un petit peu une chanson ?) mais je me suis postée en face du Mac’Do de Corentin Celton pour photographier les coureurs. J’ai ouvert pour l’occasion un compte sur Flickr où je posterai ces images, mêmes les plus floues, pour que les personnes concernées puissent avoir un petit souvenir. En voici juste une pour le plaisir, qui témoigne d’une belle complicité.

Y'a pas du kiff, là ? 😀

J’ai ensuite rejoint les blogueurs (et associés) en remontant par l’avenue des Frères Voisins et en croisant la course déguisée de 10 kilomètres. Quel carnaval ! De la montgolfière au cadeau géant en passant par la poussette reconvertie en traîneau du père Noël, certains n’avaient pas lésiné sur l’imagination. Christophe et Christian, deux coureurs minimalistes, sont de la partie.

Un ange passe
Petit cadeau
Un bel élan
Give me five, and smile ! (La seule photo du lot où la mise au point s'est faite correctement ^^)

Philippe, Benoît, Nicolas, Jonathan, Sébastien et Bastien se placent sur la ligne de départ des 10 kilomètres « classiques ». J’ai chaud au cœur de les voir ainsi réunis et je ne suis même pas triste de ne pas courir. David, autre coureur blessé, s’est muni d’un appareil photo de compet’ (c’est le cas de le dire) et mitraille, tandis que je repère dans la foule les têtes connues.

Nous les retrouvons à l’arrivée, rouges comme des pères Noëls mais heureux, et tout ce petit monde s’en va boire une bière et discuter… de course à pied !

Ce que courir veut dire

Il est des jours sans limite où les heures ordinaires ne suffisent pas à pouvoir saisir tout ce que la vie contient. Trop de nouveautés, d’agitation, trop d’au-revoir et de rencontres à venir. C’est dans ces moments-là que l’insomnie me guette, elle sait que je l’appelle au secours tout en la redoutant. Lorsque je peux partir courir, le temps reprend sa forme et j’évacue pas après pas tout ce qui me submerge. Mes pensées les plus chaotiques se dessinent clairement, le brouillon se met en page dans cet effort du corps et ce contact unique à l’environnement qui m’entoure. Or depuis plus de deux semaines,  je ne cours pas, enfermée par la douleur d’une banale blessure. Heureusement, elle s’estompe enfin : dès la semaine prochaine je rechausserai mes pompes de running pour une reprise progressive, et mon sommeil dépassera à nouveau les cinq heures quotidiennes.

Cette semaine j’ai à la fois quitté mes anciens collègues d’Orange Labs et commencé mon nouveau métier de rédactrice. Je n’imaginais pas que ce serait aussi émotionnellement intense. Je m’étais préparée à ce changement de vie, je croyais que la transition serait routinière. Il n’en a pas été ainsi : j’ai de la peine à dire au-revoir, malgré la joie de ce nouveau travail et la pleine conscience de suivre ma propre voie.

J’ai emprunté le titre de ce billet à l’ouvrage du sociologue Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, en hommage au laboratoire de recherche qui m’a accueilli pendant un an, juste après la soutenance de ma thèse. J’y ai rencontré des personnes extraordinaires, pleines de vitalité (et de théories bizarres 😉 ),  j’ai découvert pour la première fois ce qu’était « la vie de bureau » et cette drôle de communauté constituée par des collègues que tu côtoies chaque jour. Et surtout — pour ce qui nous intéresse ici — j’ai pu développer et amplifier ma passion naissante de la course à pied, au cours de nombreuses discussions (hein, avouez, je vous ai grave saoulé à la cantine, au café, jusque dans vos bureaux ! ^^), de supers joggings au parc Suzanne Lenglen et avec la participation « corporate » à La Parisienne.

Mais l’histoire n’est pas finie puisqu’en mars prochain, je participerai avec mon ancienne collègue et néanmoins amie Julie 😉 à la version « Twin santé » de l’Ecotrail de Paris. J’ai hâte de vivre cette nouvelle aventure !

Et l’histoire continue ailleurs, avec cette communauté de la « Runnosphère » que j’ai découvert en lectrice, puis en blogueuse, et désormais « In Real Life » (Bizarre comme expression, non ? Comme si écrire, lire, commenter et raconter des bêtises sur Twitter ne faisait pas partie de la « vraie vie » !) avec les rendez-vous binouze post-compétition et les Pasta Party. Hier nous nous sommes ainsi retrouvés à huit compères (dont deux commères, grande première!), après le retrait des dossards pour la Corrida d’Issy-les-Moulineaux. C’est assez étrange de retrouver physiquement des personnes avec qui l’on a parfois échangé des pages et des pages (tous nos commentaires mis bout à bout, ça doit bien faire à peu près ça ^^) durant des mois. Je me rends compte que je suis quand même d’un premier abord beaucoup plus timide en face à face. Peu à peu au fil des rencontres, les têtes se font familières, et l’on retrouve avec plaisir ces conversations d’initiés sur le meilleur moyen de ne pas se perdre dans un trail, sur le dernier gel énergétique ou les courses à venir (je note pour ma part le trail des Traces du Loup en juin, si bien défendu par David et Christophe !) Nous n’en sommes qu’aux balbutiements, mais j’ai la forte impression que de véritables amitiés sont en train de naître ici, et ça, c’est beau !

Pour finir, je reviens en forme de clin d’oeil à mon ancien bureau d’Orange Labs, avec ce mur des « Pourquoi tu cours ? » en Post-it. Fabriqué et partagé avec Julie, ma binôme d’Ecotrail et colloc’ du B419-420, il est un pendant graphique à cette petite question lancinante, à la manière du mur des 10 kilomètres de Paris Centre.

Gourmandise d'hiver

 

Corporate
Cinéma
Temporel
Spirituel
Drogues

« Une nuit dans l’enfer blanc »

Inauguration d’une nouvelle série d’invitations, pour laisser la place à des coureurs qui ne bloguent pas (pas encore !) mais qui auraient envie de partager quelques mots sur leurs aventures. J’y ai pensé maintes fois en courant avec mes collègues ou avec ma soeur: j’écris sur nos foulées, je leur prends un petit morceau de vie avec mon regard, mais n’auraient-ils pas eux-aussi envie d’écrire leur histoire à la première personne ?

Aujourd’hui, c’est Sébastien, dit « Marko », de Limoges (rencontré via Facebook!), qui prend la parole. Il me fait l’immense honneur de confier ici son récit de la Saintélyon, sa « première Saintélyon », sur la version longue (68 kilomètres).

Lundi matin, après 13 heures de sommeil d’affilée, je me réveille, relis vos commentaires chaleureux et sympathiques sur Facebook. Et sur la demande de Clara et de Christelle, je vais essayer de vous faire le récit de ma «Sainté».

Pour re-situer cette course dans mon contexte sportif, je dois d’abord me présenter, du moins présenter mon niveau de coureur. J’ai 39 ans, je cours depuis 4 ans grâce à des amis qui m’ont initié et amené au Spiridon Limousin. Je ne suis pas un compétiteur dans l’âme, j’ai juste envie de me dépasser et d’aller de plus en plus loin. J’ai couru des 10, des semi, des trails plus ou moins longs et un marathon (mon premier en octobre au Cap Ferret, en 3h48). J’ai eu des douleurs aux genoux, des tendinites au cours de ma courte «carrière». Je n’aime pas courir seul, alors je m’entraine tous les mercredis avec le club environ une heure trente à des rythmes assez élevés (entre 12 et 15km/h).
Les dimanche je fais certaines compétitions dans la région ou des sorties entres amis du Spiridon dans la belle campagne limousine.
Pour ma préparation marathon, j’étais sur quatre sorties par semaine, deux fois une heure  au bord de la Vienne à côté de chez moi, l’entrainement du mercredi et la sortie du dimanche.
Pour la Saintélyon, je n’ai pas fait de grosses sorties (je vais le payer !) en pariant sur ma prépa marathon et sur mes acquis. Donc, pour en venir à cette course mythique, je me suis tout d’abord dit que je la ferais si le marathon du Cap Ferret se passait bien. Etant satisfait de mon résultat, je me suis inscrit à la Sainté’ fin octobre sachant qu’un groupe du Spiridon s’était constitué.

La jour J arrive, fatidique. Il a neigé toute la semaine sur une bonne partie de la France.
Nous nous attendons à des conditions difficiles, voire à une annulation de la course. Je prévois des vêtements chauds et respirants. Je casse la tirelire et j’achète une veste Gore tex et des guêtres pour braver la neige et le froid.
Départ samedi à 16h00 de Limoges. Nous sommes huit coureurs et trois accompagnatrices.
L’ambiance est bonne, nous parlons de la course le long du trajet. Le thermomètre dans la voiture indique des températures inférieures à moins 5° avec un pic à moins 9 °… Le Sancy est magnifique, blanc, isolé, grand. La pause pipi nous ramène à la réalité… Ça caille dur !

Arrivée à St Etienne, diner dans une cafet’ Leclerc, pas le temps de trouver mieux. Spaghetti Carbonara pour tout le monde. Bien dégueu, bien grasses (j’en parlerai plus tard !) Une photo souvenir et direction le parc des expo de Saint-Etienne.
Une heure de queue pour retirer son dossard et changement express au milieu de la foule. Un vrai festival de tenues et de marques de trail (Salomon en tête, North Face, Asics….) Des Stands publicitaires et surtout le Stand AREVA sponsor officiel de la Sainté ! (sic) Je ne ressens pas le stress, je me sens près à une heure du départ.

J’ai opté pour le millefeuille, quatre couches en haut et deux en bas. J’ai une veste en Gore Tex Haglofs que j’étrenne. Pour la tête c’est mon porte bonheur Buff Kukuxumusu «El Che» !

La foule de traileurs est impressionnante. Il y a, comme toujours, une majorité d’homme séniors et V1. Les femmes se font rares.
C’est sous les hourras et dans le chaos que départ est donné à minuit pile.

Les Spiridonniens restons groupés autour de Jean Yves notre coach avec la consigne de partir cool. Un affichage digital annonce moins sept degrés !

C’est parti, je me sens bien sur les premiers kilomètres, le GPS donne 9,5km/h. Mais au fur et à mesure, je sens mes intestins se réveiller. C’est assez pénible mais je ne ralentis pas car je sais qu’il faut sortir de la ville pour atteindre les premières difficultés au bout de 8 km. Le sentier qui monte est enneigé, mais ça roule quand même. Il y a foule, on ne peut pas doubler alors on suit. Les frontales éclairent comme en plein jour. C’est beau ce départ, mais mon ventre me fait de plus en plus souffrir. Je sais que je vais devoir m’arrêter. C’est ce que je fais en m’éloignant du chemin. Je passe les détails mais c’est  vraiment particulier, les pieds dans 30 cm de poudreuse par moins 10° !!! Je repars, mes compagnons sont devant, je vais devoir courir seul. A peine un quart d’heure plus tard, j’ai à nouveau besoin de m’arrêter. Rebelote. J’ai fait à peine dix kilomètres que je suis déjà mal à cause des  spaghetti dégeu que je n’ai pas digéré (… bien s’alimenter avant et pas de sauce ! ) Ça doit être le froid ou je ne sais quoi mais ça va être long, très long si mon ventre ne me laisse pas tranquille. Au bout de deux heures dix j’arrive au premier ravito du 15 ème km. Je ne peux rien avaler alors je me contente d’un verre de thé. J’ai envie de vomir.

Je serre les dents! Je continue à mon rythme. Les difficultés et les montées s’enchainent sur les trente premiers kilomètres. Nous traversons les monts du Lyonnais. Le sol est gelé. Il est souvent impossible de courir tellement ça glisse. Il faut dire que dans les descentes, avec le monde devant soi, on reste bloqué. On marche voire on s’accroche aux branches des arbres dans les bois pour ne pas se casser la gueule. Devant moi, c’est une succession de chute plus ou moins grave. Certains devront abandonner sur blessures. C’est le défilé des secours. Dans les montées, on s’économise, on marche encore. Je vais mieux à partir du vingtième km alors j’accélère et je remonte pas mal de monde.

Les ravitos sont espacés d’environ 7 km, c’est l’objectif à atteindre pour moi. Je n’ai plus mal au ventre mais je ne suis pas au mieux de ma forme. Je cours seul et je sais déjà que je vais mettre plus de temps que prévu (j’avais imaginé la faire entre huit et dix heures dans des conditions normales). A chaque ravitos je fais le décompte de ce qu’il reste à faire.

Les lumières oranges de l’agglomération lyonnaise éclairent le ciel. C’est beau. Je me retourne parfois pour admirer le défilé des lucioles. Ça fait du bien de voir ça, et de savoir qu’ils sont des centaines derrière ! Je n’ai pas mal aux jambes mais par contre (c’est mon talon d’Achille) une douleur se fait de plus en plus présente à l’épaule gauche. C’est un point précis au niveau du trapèze. C’est pénible alors je fais de mouvements de bras et de tête pour essayer de décontracter les muscles. Le vent se lève en redescendant sur Lyon, je mets ma capuche. Je n’ai pas eu froid sauf un peu aux mains mais en les remuant, ça passe.
Il me reste 20 km à faire et je suis cuit. Je veux terminer coûte que coûte.

Je vais mettre le temps qu’il faut, mais je n’abandonnerai pas. A chaque ravito, ils sont nombreux à craquer. Je veux être finisher. Je n’ai plus que ça en tête. Le terrain est tellement glissant que l’on doit faire attention à chaque pas. Tous les appuis sont instables et ils seront nombreux à chuter. Certains lourdement. Je glisse sans cesse. J’en ai marre de cette glace. Une véritable patinoire. Et quand ce n’est pas gelé c’est de la neige molle et collante. L’enfer blanc. Je suis sur le point de craquer.
Pour arriver à Lyon c’est du plat et de la descente, alors ça va mieux. Je me remets à trottiner mais les jambes ne suivent plus. J’ai mal aux pieds.
Les 5 derniers km sont terribles le long de la Saône.
C’est laid, il fait froid, il y a du vent. C’est interminable.
Je vais finir.
L’arrivée à Gerland est un soulagement.
On me remet le tee-shirt, je bois deux verres de coca…
C’est terminé !!! 11H36. Deux heures de plus que prévu.

Je me douche (douche cracra mais je n’avais qu’à arriver plus tôt !)
Tous les Spiridoniens ont terminé. Et notre champion Fabrice termine en 6H45 à la 97ème place.
Sur les 6800 inscrits à la Saintélyon en solo, 4000 terminent en moins de 15h.
Combien d’abandons ?
Combien ne sont pas venus à cause des conditions climatiques?
Combien de blessés ?

Pour moi, ce fut vraiment difficile. Ma préparation était trop light. J’ai pensé tenir sur ma prépa marathon mais j’étais trop juste sur la longueur. Les problèmes gastriques m’ont bien ralentis et handicapés. Et le verglas m’a empêché de courir la plupart du temps.

Les points positifs :
Je termine
J’étais bien équipé et je n’ai pas eu froid malgré les températures négatives
Je ne suis pas blessé
J’ai eu de nombreux encouragements

Les points négatifs :
J’ai souffert (ventre, jambes, épaule)
Je termine dans le dernier quart
J’ai lâché mes copains
Pas d’ambiance particulière sur, avant et après la course
Le sol glissant presque tout le long
Areva comme sponsor !

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Saintélyon: bonne course aux Petits Princes !

Clara de retour sur la machine à écrire, encore une semaine et deux ou trois petits jours de repos avant un retour progressif à la course…

Ce soir, à partir de minuit, des centaines de coureurs prendront le départ d’une course mythique: la Saintélyon, qui, comme son nom l’indique, relie Saint-Etienne et Lyon. 68 kilomètres à travers les crêtes des Monts du Lyonnais, et cette année, dans la neige. Je rêve d’y participer un jour, en relais, en « Saintexpress » ou en raid solo (…pourquoi pas, bien entraînée, d’ici quelques années ?) car j’ai vécu à Lyon deux ans durant ma thèse, des années fortes et belles, et j’adorerais aborder cette ville à la fin d’une nuit de trail, frontale sur le crâne.

Parmi la « runnosphère » (coureurs qui bloguent, ndlr 😉 ), nous aurons quelques camarades sur les chemins et je penserai fort à eux : du côté du « Taillefer Trail Team« , j’ai nommé Doune, le coureur du Chablais, et Fabrice, de RunOnline. En raid solo pour l’un, en « Saintexpress » pour l’autre (44 kilomètres depuis Sainte Catherine). Michaël, dit Lamiricoré, après un Marathon des Causses fort éprouvant, a préféré remettre l’aventure à plus tard.

Il y aura également Djailla, en relais à 3. Et plusieurs coureurs des Veillées du Bois de Vincennes, dont Agnès, de Team Outdoor. Et d’autres que je ne connais pas encore mais qui sont venus commenter ici ou que j’ai lu par ailleurs, comme Julien et « Papoo« . Je pense également à Sébastien, dit Marko, mon « pays » de Limoges rencontré sur Facebook. Je leur souhaite à tous une excellente course, que j’imagine hors du temps, dans la gestion de l’effort, du froid, du ravitaillement. Des petites lucioles dans la nuit.

A cette occasion le Taillefer Trail Team a lancé il y a quelques temps une collecte de fonds pour l’association Petits Princes, qui réalise les rêves des enfants malades. Je vous invite donc, en ce week-end de Téléthon et de courses de Noël, à garder ne serait-ce que 5 euros de côté pour cette association, sur le site Aider-Donner. Le principe symbolique proposé par le Taillefer Trail Team est simple : « acheter les kilomètres que nos membres parcourent tout au long de la saison. »

A vos CB, à vos claviers !

(Et pour rappeler un peu le texte d’Anthony publié ici hier : Allez MIKA, allez NONO !)

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Mise à jour Twitter 0h50 : Suivre la Runnosphère sur #saintelyon : @doune dossard 743 @FabricePreau 10907 @djailla et son équipe 3232 – BIG UP ! http://bit.ly/i1YVtn
>> Pour les noctambules, ce lien vous permet de suivre à peu près en direct la progression des coureurs, au moment où ils franchissent les points de contrôle des chronos.

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Au fil de l’eau, les comptes rendus de course des blogueurs :

– RunOnline : A la Saintélyon, mes nuits sont plus belles que vos jours.
– Doune : La Saintélyon 2010, un ultra-trail blanc de nuit
– Papoo : SaintéLyon 2010, Finisher
– Djailla: 155è sortie, SaintéLyon Relais 3

+ Christophe, en vélo : Une Saintélyon 2010 en mode assistance

+ SaintExpress de Djozikian

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Pourquoi et comment j’en vins à jouer au tennis

Aujourd’hui, sur Running Newbie, c’est Vases Communicants. J’invite Anthony Poiraudeau, du blog Futiles et graves, à écrire ici, et je vais raconter ma perception du paysage lors des Veillées du Bois chez lui. Cette fois-ci, on ne parle pas course à pied, mais tennis… Je vous laisse découvrir ce texte qui, je le pense, est très important pour mon ami Anthony.

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Je n’avais pas d’avis, pas d’intérêt ni de répulsion pour le spectacle et la pratique du sport avant les retransmissions télévisées du tournoi de tennis de Roland-Garros en 1988. Je n’avais pas tout à fait dix ans, je savais sans avoir eu à me le formuler que mon caractère solitaire et ma timidité contrariée me rendaient effrayant l’exercice du football, très répandu chez les garçons de mon âge, dans lequel je voyais surtout, à tort ou à raison, les nombreuses possibilités d’humiliations que le groupe aurait pu me faire subir dans le cas non inconcevable où j’en serais devenu le mouton noir, quand je vis alors, sur l’écran de télévision qui diffusait comme chaque année, à la fin du mois de mai et au début du mois de juin, ce tournoi de tennis – un des quatre plus prestigieux au monde (en fait un des deux plus prestigieux au monde, mais passons) -, un joueur qui allait cette année se hisser jusqu’aux demi-finales et dont l’attitude, le physique, l’apparence et le jeu comblèrent instantanément mes besoins juvéniles d’adopter une idole, idole qui plus est conforme aux goûts vulgaires et avides de tape-à-l’œil facile qui étaient ceux de l’enfant nourri par la télévision et les (mauvais) films de série B que j’étais – cette conformité ayant été une condition certainement obligatoire en même temps qu’un déclencheur. Ce joueur était Andre Agassi, il était jeune (critère important), il était Américain (critère important), il était sûr de lui et facétieux (critère important – précisons au passage que le caractère facétieux d’Agassi ne sera plus qu’occasionnellement visible à partir de 1990), il portait des shorts en jean ainsi qu’une chevelure volumineuse et péroxydée qu’on pourrait qualifier de “mulet” ou encore “nuque longue” à la sauce années 80 (ces critères d’apparence sont importants – il y a beaucoup à dire sur l’évolution du look d’Andre Agassi, incluant les aspects esthétique, moral et psychologique, et plus encore depuis qu’en 2009 son autobiographie Open a révélé que la spectaculaire chevelure qui coiffait son crâne au début des années 1990 était un postiche, mais passons) et il tapait dans la balle comme une brute (mais comme une brute terriblement habile), livrant des coups droits et des revers à deux mains ahurissants, qu’il accompagnait au moment de la frappe d’un cri qui, bien que venu de sa gorge, semblait tout aussi bien sorti d’un film d’action (ou, par anticipation d’ailleurs, me semble-t-il, de certains jeux vidéo de l’ère des consoles 16-Bit, qui seraient pour moi une passion ultérieure, bien que brève, mais une fois encore, passons) (cet ensemble de critères est très important).

Il se déclencha alors chez moi, en plus – et probablement autour – de cette passion fanatique pour Andre Agassi, un amour enflammé pour le tennis professionnel en général, et un début de pratique du tennis avec les moyens du bords, et d’abord avec un ami volontaire pour lui-aussi y jouer, avec moi d’une part, et les moyens du bord d’autre part (et peut-être en faisions-nous l’un et l’autre réciproquement partie). Les moyens du bord étaient : les raquettes que l’on avait chez soi, à traîner dans un fond de placard et qui des années auparavant avaient dû être achetées pour une somme modique en supermarché ; c’étaient les balles que l’on avait chez soi, à prendre la poussière dans un recoin de cave ou de garage, entre par exemples un vélo pour enfant devenu trop petit et un grand sac de charbon de bois pour barbecue ; c’était un coin de terrain pouvant accueillir un espace point trop minuscule, présentant l’aspect de la planéité et permettant de tendre quelque part en travers de lui, plus au moins au milieu de sa longueur et aux moyens de poteaux, de colonnes, de pieds de parasol ou autres chaises de jardin, une ficelle ayant fonction de filet. Bref, on jouera beaucoup sur terre caillouteuse, sur sable tassé, sur gravier, rarement par contre sur terrain rectangle. Je n’avais alors qu’un seul partenaire, meilleur que moi bien qu’autodidacte autant que je l’étais, et mon infériorité sportive chemina en moi, le long de la série probablement complète de défaites, d’indistincte blessure narcissique en sourde douleur mentale : je ne cherchais pas dans le tennis un loisir ou un amusement, mais une façon de me défendre contre l’existence et d’y légitimer la mienne. Je ne le savais pas alors, mais déjà je le sentais. Je savais encore moins le furieux et fumeux marché de dupes que je cherchais à contracter et qui aurait tenu en entier dans ce contrat ahurissant : deviens bon au tennis et le monde à l’extérieur de toi s’accordera avec toi-même, et ni la vie, ni les autres qui la composent, ne te broieront. En aucun cas ces deux espoirs et désirs n’entretiennent le moindre rapport possible entre eux, mais je ne me rendais pas alors compte que c’était un salut que je cherchais, tout comme j’ignorais encore qu’on n’échappe pas au risque – dont je sentais déjà très bien qu’il existe indiscutablement, quant à  lui – que la vie vous broie. Et de toute façon, au tennis, à ce moment là, et il n’y avait à ce stade que ça, j’étais alors mauvais, y compris pour un garçon de mon âge. Point d’occasion donc de constater qu’il ne se rencontrerait point de salut le long de cette voie que je n’avais pas parcourue.

En attendant et en espérant mieux quant à mes prestations sur les courts, pour une des premières fois de ma vie peut-être, mais finalement comme toujours, ma stratégie de compensation fut l’accumulation de connaissances : au moins, personne à mes alentours n’en connaîtrait davantage que moi sur le championnat professionnel. On aurait pu me demander par qui avaient été gagnés les tournois d’Auckland, de Gstaad, de Key Biscayne, ou de ce qu’on voudrait, en quelle année et contre quels finalistes, et j’aurais répondu dans l’ordre désiré, parce que j’avais tiré des pages “sports” des journaux et de mon abonnement à Tennis Magazine tous les résultats disponibles pour les reporter à la main dans un cahier de 24 x 32 cm à petits carreaux et couverture verte, mémorandum feuilleté et complété encore et encore, tout le temps, et que donc on pouvait y aller, j’étais prêt à les recevoir les questions, je pouvais le dire, qu’à Auckland en 1991, Jean-Philippe Fleurian s’était fait battre en finale par Karel Novacek, avant qu’en 1992 ce soit Jaime Yzaga (un joueur dont on pouvait souligner, sans même qu’il soit besoin pour cela de le voir à l’œuvre, deux singularités : il était le seul joueur parmi les cent premiers mondiaux à être, premièrement, Péruvien et, deuxièmement, pourvu d’un patronyme commençant par la lettre Y ; mais passons) qui prenne à son tour le titre néo-zélandais, alors qu’en 1991 et 1993 Novacek perdait deux fois en finale à Estoril, je le savais aussi, contre Sergi Bruguera la première et contre Andrei Medvedev la seconde, j’aurais pu le dire à l’aise, tout comme j’étais parfaitement au courant qu’ailleurs, à Cincinnati, tiens, oui, à Cincinnati, pourquoi pas ?, c’est que c’était bigrement intéressant, ce qui s’y passait, là-bas, au mois d’août, que donc à Cinicinnatti, où en 1991, Guy Forget, au beau milieu de la meilleure saison de sa carrière battait en finale Pete Sampras (et on se souvient bien, aujourd’hui encore, de la répétition combien plus affolante de ce match qui nous sera jouée à Lyon à l’automne, en finale de Coupe Davis France-USA, mais passons), Pete Sampras qui lui-même et bien que pas encore n°1 mondial, battrait, à Cincinnati toujours, dans l’Ohio toujours, l’année suivante et en trois sets, l’ancien et très durable leader du classement, le vieillissant, assez sinistre et tout juste devenu citoyen américain Ivan Lendl (quand on sait que c’est en remportant le tournoi de de Cincinnati en 1990, contre Brad Gilbert en finale, que Stefan Edberg était devenu n°1 mondial, en prenant à la tête du classement la suite de, je vous le donne en mille, Ivan Lendl justement, on constate, n’est-ce pas ?, que l’affaire ne manque décidément pas de sel… (Ah non mais… Quand même ! Mais quand même ! Mais quoi d’autre ?!, bon sang !, quoi d’autre que le championnat professionnel de tennis pour nous fournir sur terre des scénarios pareils ?! Des fois, on se le demande bien… (Et qu’on n’aille pas nous raconter après ça, ma parole !, qu’il n’y aurait pas plus de choses dans le ciel et sur la terre que dans toute la philosophie!, comme on dit dans Shakespeare (Shakespeare qui bien que citoyen et même emblème du pays qui a fait naître le tennis, en adaptant au plein-air et au gazon la pratique du jeu de paume venu de France (mais passons), Shakespeare qui n’a pas vu ni joué un fichu match de tennis de toute sa vie… On n’imagine même pas, sacré nom d’un chien !, ce qu’il aurait bien pu bien écrire de plus si, bon sang de bon sang !, il avait connu ce jeu ! Mais passons.)))).

Oui, j’aurais pu dire tout ceci et bien d’autres choses encore, je connaissais tout ça. Sauf que bien sûr, personne ne me demanderait jamais des choses pareilles, et nul n’accorderait au fait que je les sache la même portée morale et métaphysique que moi. Et pour cause, les enjeux moraux et métaphysiques que j’y plaçais étaient tout à fait irrationnels, fallacieux, solipsistes et  insensés. Mais l’accumulation de connaissances n’était ma seule manipulation de ces leviers existentiels à raquettes, filets, polos et bâches de fond de court, puisque, tandis que je me constituais cette érudition inutile, bien que somme toute réjouissante, je franchis à l’âge d’environ douze ans et demi un pas (unique dans ma biographie, mais passons) sur le plan de la pratique du sport, en me dotant d’une licence officiellement délivrée par la Fédération Française de Tennis et en devenant membre du Tennis-Club Riez Océan, vénérable club de la petite station balnéaire vendéenne où je résidais avec ma famille les douze mois de l’année, et où Jean-Pierre Piveteau, sympathique moniteur diplômé d’État et joueur classé au remarquable niveau amateur de deuxième série, et par ailleurs conducteur d’une moto japonaise de grosse cylindrée, allait mener les entraînements auxquels je participerais désormais chaque mercredi matin, avec le groupe des nuls, puis le samedi matin, avec le groupe des, disons, moyens. Je ne traînai pas longtemps avec le groupe des nuls, ma détermination à courir vers la balle et à la cogner pour qu’elle ne revienne pas, mon appétit d’affamé pour la réussite de mes coups et échanges, le nombre incalculable d’heures passées devant des retransmissions télévisées de tournois, ainsi que plusieurs années désormais de quasi-méditation sur la pratique du jeu me firent rapidement surclasser les quelques mollassons empotés qui vivotaient là sans même l’ambition ni le désir d’en sortir, pour définitivement m’installer dans un groupe dont le niveau reflétait le mien et où la température ambiante ne m’allait pas causer de choc thermique, celui des mi-habiles et des médiocrement doués mais plus fiers et dont il n’y avait rien d’autre à attendre que la stagnation au niveau qui serait à jamais le leur, opérée avec le secours de la neutralisation entre elles des forces contraires de la dissipation paresseuse et des sursauts d’orgueil.

Aux centaines d’heures de visionnage de matchs à la télévision s’ajoutèrent des centaines d’heures à jouer au tennis, pendant les entraînements et surtout au cours de matchs amicaux, non officiels du moins, et presque toujours disputés contre des amis (souvent le même d’ailleurs, mais un autre que celui contre lequel j’avais débuté en autodidacte et avec les moyens du bord, mais passons), sur de véritables terrains désormais, courts au sol recouvert de matériaux synthétiques rouges eux-même entourés de vert et encadrés de grillages s’ils étaient à l’extérieur et de filets et de bâches vertes pour les deux, qui étaient mes favoris, contenus dans la salle du club, toutes leurs lignes orthogonales et peintes en blanc au sol selon les très exactes mesures homologuées. Je jouais beaucoup, mes gestes n’étaient plus ceux d’un autodidacte, mais mon attitude et le niveau de mon jeu restaient au fond les mêmes. Je peux parfaitement ressentir encore le saisissant écart entre les douleurs existentielles qui étaient engagées au cours de la quasi-totalité des matchs que je jouais et mon indépassable incapacité à m’astreindre dans la pratique à une discipline par laquelle j’aurais pu m’améliorer. Il m’était impossible de maintenir plus de quelques minutes les consignes que l’entraîneur m’avait dites et redites quelques instants plus tôt, quelques jours tout au plus, car je ne pouvais lutter contre une irrépressible et obscure volonté, et qui précisément me menait à la destination exactement inverse à celle désirée, mais par le seul chemin que je voulais bien accepter d’emprunter : je voulais être facile, être insolent de facilité et pétri de talent, royal, magistral, ahurissant et exceptionnel, sans avoir jamais à fournir les efforts à l’aune desquels les individus auraient, dans une certaine mesure, pu tous entre eux être comparés, et qui sont le travail, la discipline, la patience et l’abnégation. Je ne voulais pas être comparé, mais bien au contraire être incomparable, surdoué, avoir le tennis infus comme d’autres auraient, paraît-il, la science infuse, sans quoi ce n’était pour moi même pas la peine, car je ne serais pas alors sauvé, et je n’aurais plus qu’à me coltiner le cambouis là comme je me le serais farci ailleurs, et je voulais à en crever échapper au cambouis, quel que soit l’endroit où il faille l’affronter. On n’avait pas quitté les principes mentaux qui dirigeaient tout pour moi depuis le départ et avaient d’emblée tout dit, mais je n’avais pas d’oreille pour l’entendre, ni même aucune pour entendre qu’il me faudrait changer d’oreilles pour entendre mieux l’écho que renvoyait face à moi de plus en plus proche le mur contre lequel butait l’impasse où je m’étais engagé, comme d’autres murs m’avaient si souvent renvoyé les balles avec lesquelles j’avais joué, seul, les plus beaux matchs, les plus réussis, et les plus enthousiasmants pour le public imaginaire, de tous ceux que j’avais mené. J’aurais juste voulu être le récipiendaire d’un talent inouï dont j’aurais délivré – sous les yeux ébahis, stupéfaits et incrédules de celles et ceux que les hasards de la vie auraient jeté là, en même temps et dans les mêmes lieux que moi, et qui auraient dû se pincer pour se convaincre que ce qu’ils voyaient de leurs yeux était bien réel – les manifestations miraculeuses, et arriver sur le court, comme venu de nulle part et comme en claquant des doigts, juste pour se mettre en toutes simplicité et décontraction à cogner des coups hallucinants, qui seraient tombés le long de trajectoires imprévisibles et inspirées quelques centimètres tout au plus avant les limites du court, très exactement là où il faut, en affolant les compteurs kilométriques si dans la modeste salle de pauvre petit club il y en avait eu. J’aurais voulu être un génie, et un génie travaille-t-il ? Je me comportai ainsi des années, empêtré dans la douleur mentale et la colère contre soi de celui qui ne voit, dans le déroulement navrant de ses prestations, que les plus éclatantes preuves du ratage de son existence et de l’indignité de sa personne, collé aux parois de la médiocrité sauf peut-être les jours de chance et le voyant bien, à quasiment chaque point, mais tentant à chaque fois, inlassablement et en dépit du bon sens, des coups impossibles et qui dans mon esprit étaient nécessaires, car les preuves à la recherche desquelles je m’étais senti convoqué ici et ainsi, celles de mon élection au rang de héros pouvait élever une activité sportive au niveau d’un événement historique dispensé de l’histoire, n’auraient pu m’être délivrées autrement.

Elles ne furent pas. Et je ne sus jamais jouer autrement à ce jeu, c’est-à-dire qu’ayant tenté d’y gagner ce qui ne s’y trouvais pas, ayant voulu recevoir par lui les fruits d’une promesse que nul ni rien ne m’avais jamais faite, je ne sus finalement jamais y jouer du tout, pas autrement que par la pantomime matamoresque, farfelue et portant vaguement les allures de sport qui était ma manière.

Plus tard, le rock’n’roll et la pratique de la guitare ayant pris sa place comme véhicules et chairs de mes appels insensés au salut, et les tarifs exigés par le Tennis-Club Riez Océan pour en demeurer membre après l’âge de dix-sept ans s’en étant mêlés, j’arrêtai le tennis, et n’y jouai bientôt plus que très rarement.

C’était être soustrait au devoir de vivre sans pour autant mourir que j’avais cru pouvoir jouer là, poussé par l’idée folle que c’était ici, dans ce rectangle marqué au sol, de 23,77 x 8,23 mètres exactement, qu’il aurait été une bonne fois pour toutes possible de régler l’affaire, que par une magique mais implacable opération, si jamais l’on parvenait à frapper des coups prodigieux, on atteindrait alors des niveaux supérieurs de l’existence et on serait comme sauvé, comme si un administrateur général des vies allait vous attendre à la sortie de la salle résonante, aux murs de tôle et pans de toit pentus, pour vous faire signer un miraculeux papelard sur le couvercle de la mallette d’où il l’aurait tiré, par lequel vous aurait été signifié que c’était bon, que pour vous c’était réglé, que les quelques coups droits croisés, fulgurants et frappés à plat en bout de course, par lesquels vous aviez pris votre adversaire à contre-pied, et que les trajectoires superbes et grisantes de vos revers le long de la ligne qui avaient coupé court à l’attaque pourtant très incisive de l’autre en face vous mettaient à l’abri pour toujours, vous autorisaient, et avec les félicitations du jury et l’admiration unanime, à ne plus jamais rien avoir à foutre de votre existence glorieuse sans jamais manquer de rien pourtant ni éprouver plus de souffrance aucune.

En croyant pouvoir en être libéré par le tennis, en y jouant pour ça, au fond, pour ce fol espoir vaincu, c’était finalement, égale à elle-même, l’effroyable responsabilité de vivre qu’on y avait trouvé. Non seulement, le tennis ne nous en libérerait pas en dehors du court, mais il nous mettait aux prises avec elle jusque pendant les échanges et les matchs. C’est qu’il fallait la faire avancer, cette foutue balle, il fallait l’envoyer de l’autre côté du filet, être offensif avec elle, pas seulement s’en débarrasser pour attendre que ce soit l’autre en face qui fasse avec elle le boulot qu’on avait pas su faire soi-même, et s’en remettre à lui, mais bien plutôt le faire céder, lui, et remporter avec elle un peu d’honneur, un peu d’espace et un peu de quoi avoir à perdre plus tard. Il fallait encore se battre, on n’en sortait pas.

© Anthony Poiraudeau – 2010