Me voilà encore bien attrapée. Combien de temps avant de parvenir à comprendre les mécanismes de la blessure (physiologiques comme psychologiques), de pouvoir les surprendre avant qu’ils ne s’installent, de savoir les déjouer. Comment se renforcer dans les limites de ses capacités, comment progresser quand on part de rien mais qu’on a déjà un peu avancé, comment ne pas tomber dans les blessures chroniques ?
Je me pose ces questions la cheville et le pied droits enroulés dans un strapping réalisé par ma médecin du sport, transis par une « aponévrosite du tendon tibial antérieur » (souvenez-vous, ce même tendon qui me criait lors de ma dernière sortie « C’est pas bientôt fini, ce cirque ? » Et que je n’ai pas écouté, parce qu’il fallait bien rentrer au bercail, boucler la boucle, suivre le groupe.
Si j’analyse un instant ce qu’il a pu se produire, j’en conclus que ma nouvelle blessure est le fruit d’une reprise prématurée (par ignorance) et d’un emballement face à un effet de groupe (par bêtise). Bêtise d’autant plus grande qu’à un moment donné, j’étais la brebis en chef de cette fable rabelaisienne. Menant le troupeau à 6’10 au kilomètre sur des chemins boueux et meubles. Quand je suis repassée en arrière, le rythme était pris. Les questions prévenantes des meneurs d’allure (« Ça va, derrière? » ; « On ralentit, si tu veux… ») n’y font à ce moment plus rien: « Oui, oui, ça va! » ; « Tout baigne, je suis juste à 196 bpm! »
Je n’ai pas non plus su résister à la petite musique d’un des compagnons de route: « Là sur la fin, si tu sprintes tu sauras ta FC max. » Première réaction instinctive, intérieure: « Mais il m’énerve celui-là, je fais ce que je veux, je ne sprinterai pas! » Et quand je m’agace en courant, ça ne m’aide pas. A rebours des résultats d’une étude montrant les effets bénéfiques des jurons sur la résistance à la douleur, si je m’agace, j’ai d’autant plus mal. Et si je jure à voix haute, c’est encore pire. Alors qu’ai-je voulu prouver en sprintant dans la descente finale? Sur de la route bien dure, en plus! J’étais trop curieuse de voir jusqu’où je pouvais monter. J’ai vu.
En tout cas c’était un sprint contagieux, car une autre fille du groupe s’est également élancée, me dépassant sans peine. Peut-être l’avais-je attisée tout du long, avec ma frontale-diadème, mon passage en première ligne, et toute l’attention dont j’étais malgré moi l’objet. Vas-y, Mam’zelle, dépasse, moi je tiens 20 mètres à cette vitesse et mon esprit de compétition est décédé quelque part dans un coin de classe de Khâgne sur les rives de la Garonne. Je ne livre bataille qu’à moi-même, comme en ce moment-même où je songe à mes erreurs.
Mais pourquoi ce Nazar Bonzuk, cet oeil turc en illustration ? Tout simplement parce que c’est l’un de mes porte-bonheurs. J’en ai trouvé un sur le sol d’une station service juste avant de passer mon permis (et j’ai eu mon permis). Depuis il trône dans ma cuisine, souvenir d’un moment d’irrationalité pure. Dans ma boîte à gri-gri, j’ai également un bracelet super moche en plastique noir que j’ai porté une semaine avec des résultats éclatants: forfait au Havre, cavalcade irraisonnée, aponévrosite… Le Power-Tonic, ça marche du tonnerre ! Oui, vous avez bien lu. Je ne blaguais pas quand je disais à Fabrice (et dans le plus grand des secrets, à Greg), que j’avais été vaincue par les sirènes du magical marketing, après l’avoir publiquement conspué. Au Havre, justement. Avec Monsieur M. et toute sa rationalité, ébranlé par les tests du vendeur (on a compris: le corps s’adapte, merci M’sieurs Dames!) Un moment grandiose, qu’il aurait fallu ethnographier, avec sa conclusion formidable: « J’y crois pas mais quand même… » Le bracelet en plastique rejoindra la cohorte des souvenirs amusants et objets introuvables, au fond d’un tiroir. En fait, ça ne marche pas car je ne l’ai justement pas « trouvé », comme l’oeil turc. Si on achète, si on introduit du négoce dans ce type de transaction avec les mondes parallèles, ça foire. C’est ce que disait un rebouteux de mon village qui soignait les verrues avec une pomme, et qui est mort avec son secret car ses filles en auraient fait commerce.
En attendant, je crois fermement en mon strapping. Et en mes bonnes résolutions: plus de compétitions jusqu’en février (exit la Corrida d’Issy, de toutes façons je dois arrêter de courir pendant deux semaines) ; une vraie reprise en douceur (quand on n’a plus mal, il faut encore attendre… et quand on recommence, il faut y aller doucement… et encore doucement… et encore doucement…) ; une préparation physique globale pour reprendre la saison 2011 dans de bonnes conditions !
– Pourquoi tu cours ?
– Pour comprendre ce que j’ai dans le crâne…
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Une petite annonce pour finir : comme au mois d’octobre, je participe ce premier vendredi du mois de décembre à l’opération « Vases Communicants« . J’inviterai ici Anthony Poiraudeau, de Futiles et Graves, et j’irai courir chez lui. Le mois prochain, j’essayerai de lancer l’annonce un peu plus tôt pour que nous puissions, si l’envie nous prend, étendre cette initiative à la runnosphère.