Jour : 1 octobre 2010

Devenir runneuse : une expérience anthropologique

Avant-propos: ce récit de la Vanvéenne n’est pas celui de ma course, mais se réfère à l’expérience vécue par une autre « runneuse »… (voir plus bas).

« Ce n’est pas la première fois que je cours. Plusieurs années auparavant, il m’est arrivée de faire quelques séances avec une ou deux copines un peu plus motivées que les autres. C’était sympa, mais ça restait très occasionnel. Depuis peu, en revanche, je m’y suis remise avec une nouvelle amie. Nous courons très régulièrement. Notre principale motivation n’est pas forcément de nous surpasser : au-delà de l’exercice physique, nous courons en parlant à un rythme soutenu… Et c’est surtout ce moment d’échange sur les aléas de la vie – familiale et professionnelle – qui nous tient en haleine. Deux fois par semaine, nous nous retrouvons donc au stade pour discuter…. en courant. Jusqu’au jour où ma coéquipière me fait une proposition : participer à une course officielle, la Vanvéenne. Au début, un peu surprise, j’hésite. Puis j’accepte finalement de relever le défi. Après tout, c’est l’occasion de mettre nos entrainements à l’épreuve. Je m’imagine déjà sur la ligne de départ un dossard fixé sur le torse, comme les athlètes que l’on voit dans les magazines ou à la télévision… Ma véritable préoccupation est pourtant ailleurs : allions-nous tenir jusqu’au bout? Allions-nous passer la ligne d’arrivée en continuant… de discuter? Et tout ça dans un temps raisonnable?

Le jour J, ma compréhension de ce qu’est une course évolue au fil des découvertes. Certes, nous avons un dossard avec un numéro, mais pour cette course, aussi modeste soit-elle, l’équipement des runneurs est bien plus sophistiqué que je ne le pensais. Non, je ne me sens pas ridicule avec ma paire de chaussures, relativement standard. Mais l’obligation d’y accrocher une puce me fait prendre conscience d’un premier changement d’état : participer à une course officielle, être une runneuse digne de ce nom, c’est aussi devenir une entité comparable aux nombreuses marchandises d’un stock dont on peut suivre la distribution. Car cette puce n’est pas un simple gadget, elle ramène tous les participants à un état comparable. Deuxième changement d’état : je ne suis plus seulement une participante avec un numéro de dossard, je suis devenue une concurrente. La puce constitue le dispositif qui permet de se mesurer aux autres. « Pas de puce = Pas de classement » précisent les instructions qui l’accompagnent. C’est par son intermédiaire que le temps réalisé par chaque concurrent s’enregistre et s’affiche au moment où il franchit la ligne d’arrivée. Enfin, comme la puce le mentionne elle-même, elle doit être restituée. Une fois la course terminée, je dois absolument la rendre aux organisateurs, sous peine d’une amende de 15 euros. Troisième changement d’état : immédiatement après ma performance, quelle qu’elle soit, je deviendrai à nouveau une personne juridiquement responsable. Me voilà rassurée !

En même temps, je suis fatiguée à l’avance par les états successifs par lesquels je suis censée passer le temps de cette course. Au top départ, nous sommes pourtant sereines avec mon amie et, reprenant le rythme de nos discussions habituelles, nous enchaînons les kilomètres les uns après les autres sans presque nous en rendre compte. Bien après l’arrivée, je réalise que la puce que j’ai rendue est encore active : associée à d’autres dispositifs électroniques, elle contribue maintenant à l’affichage de mon temps sur l’écran de mon téléphone et m’indique un site web où je peux consulter l’ensemble du classement. J’apprends alors qu’avec mon amie nous ne sommes pas les dernières… Et je prends conscience de n’avoir pas seulement partagé un moment avec elle, et de nombreuses autres personnes. En participant à cette course, j’ai été transformée à plusieurs reprises par de minuscules dispositifs techniques avec qui j’ai partagée certaines de mes caractéristiques. Non, définitivement, je ne suis plus la même. »

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Je suis ravie d’accueillir ici l’une des plumes de Scriptopolis, blog de sciences sociales sur de « petites enquêtes sur l’écrit et ses mondes ». Plusieurs fois par semaine, un billet présente une nouvelle histoire sur des objets écrits et le rapport que l’on entretient avec eux.
Aujourd’hui l’échange permis par les Vases Communicants est particulièrement précieux pour moi, car Philippe Artières, Jérôme Denis et David Pontille sont des collègues chers à mon coeur! Ici, les billets se croisent et se parlent: le mien évoque le certificat médical nécessaire à l’inscription en compétition, et le leur, les transformations que l’écrit provoque en nous au sein de la course…

Les autres participants aux Vases Communicants pour ce mois d’octobre sont :
(Merci à Brigitte Célérier pour avoir détaillé cette liste)

François Bon http://www.tierslivre.net/ et Daniel Bourrion http://www.face-terres.fr/

Michel Brosseau http://www.àchatperché.net/ et Joachim Séné http://www.joachimsene.fr/txt/

Christophe Grossi http://kwakizbak.over-blog.com/ et Christophe Sanchez http://fut-il-ou-versa-t-il.blogspot.com/

Christine Jeanney http://tentatives.eklablog.fr/ et Piero Cohen-Hadria http://www.pendantleweekend.net/

Cécile Portier http://petiteracine.over-blog.com/ et Anne Savelli http://fenetresopenspace.blogspot.com/

Juliette Mezenc http://juliette.mezenc.over-blog.com/ et Louis Imbert http://samecigarettes.wordpress.com/

Michèle Dujardin http://abadon.fr/ et Jean-Yves Fick http://jeanyvesfick.wordpress.com/

Guillaume Vissac http://www.omega-blue.net/ et Pierre Ménard http://www.liminaire.fr/

Marianne Jaeglé http://mariannejaegle.overblog.fr/ et Jean Prod’hom http://www.lesmarges.net/

Anita Navarrete-Berbel http://sauvageana.blogspot.com/ et Gilda http://gilda.typepad.com/traces_et_trajets/

Matthieu Duperrex d’Urbain trop urbain http://www.urbain-trop-urbain.fr/ et Loran Bart http://leslignesdumonde.wordpress.com/

Geneviève Dufour http://lemondecrit.blogspot.com/ et Arnaud Maisetti http://www.arnaudmaisetti.net/spip/spip.php?rubrique1

Jérémie Szpirglas http://www.inacheve.net/ et Jacques Bon http://cafcom.free.fr/

Maryse Hache http://semenoir.typedpad.fr/ et Candice Nguyen http://www.theoneshotmi.com/

Nolwenn Euzen http://nolwenn.euzen.over-blog.com/ et Olivier Beaunay http://oliverbe.blogspirit.com/

Lambert Savigneux http://aloredelam.com/ et Brigitte Célérier http://brigetoun.blogspot.com/

Le mois prochain, à vous de jouer ! 😉